Petit état des lieux
Combien de temps êtes-vous capable de rester à regarder la mer sans faire autre chose ?
Êtes-vous capable de prendre un café en terrasse sans rien faire d’autre que de regarder les passants ?
Quand votre enfant vous dit « je m’ennuie », êtes-vous capable de lui répondre « je suis fièr.e de toi, continue de t’ennuyer » ?
Le silence vous fait-il peur ?
De quoi avez-vous peur ? Que se cache-t-il donc dans cet ennui que vous ne voulez affronter ? Est-ce que cela a à voir avec une certaine idée de la performance ? Ou encore avec la peur de la mort ?
Je ne peux répondre à votre place. Mais voici quelques éléments de réponse qui émergent quand je me confronte à cette question.
ET surtout quelques éléments pour vous montrer à quel point il est bon de s’ennuyer.
L’enfance, encore et toujours.
Je me souviens que toute petite, je m’ennuyais beaucoup.
Si cela m’a certainement laissé le goût amer de la solitude, cela m’a aussi sans nul doute permis de développer une forte capacité à imaginer les choses. Les inventer. Développer un sens aigu du langage animal et végétal.
L’ennui m’a permis d’entendre les fleurs parler.
L’ennui m’a permis d’apprendre à fuguer, ne serait- ce qu’intérieurement.
Me forger un monde intérieur tellement fort et puissant qu’il serait impossible à ébranler.
Je ne sais pas si vous étiez un.e enfant aux multiples activités du mercredi ; chez moi ce n’était pas du tout bien vu d’enchainer les activités extra scolaires. Je regrette encore de ne pas savoir faire ni musique, ni sport. La seule activité réellement valorisée était celle de s’ennuyer. Une pensée largement à contre-courant des autres enfants que je côtoyais.
Par ailleurs, mes parents travaillaient beaucoup. Ce qui fait qu’à une époque je devais rester de longues heures seule à ne rien faire.
Il y a environ huit ans, j’ai amorcé un travail en hypnose ericksonnienne. Et l’une des choses majeures qui a émergé de ces séances est le vide.
Petite, j’ai longtemps été confronté au vide du rien. À un âge où la lecture ne m’intéressait absolument pas. Et où bien sûr je ne pouvais pas passer mon temps à scrooler sur un écran (Dieu merci…).
Que reste t il donc comme souvenirs d’un temps où il ne se passe rien ?
Le rien, l’absence de tout est une porte ouverte vers une connexion au reste du monde.
Le rien n’est jamais rien. Le rien, le vide n’est qu’une illusion. En étant dans le rien, je ne suis pas dans la mort cérébrale. Je ne suis pas dans le néant, je suis ce néant. Ce néant qui est l’infini, l’univers. En étant dans le rien. J’ouvre le champ des possibles. Vous me suivez ? Je vous explique.
Une des recherches absolue, en méditation, en yoga nidra est d’accéder à ce « ni ceci, ni cela ». A savoir, ne pas se laisser définir par les éléments, les circonstances, l’environnement. Se laisser définir par le « être » et non par le faire.
J’ai été une enfant laissée seule. C’est une phrase un peu rude à lire comme cela. Mais cette enfant laissée seule a donc eu accès à ce que beaucoup d’autres n’avaient pas. Un espace mental vierge permettant de laisser émerger l’imagination.
La capacité à inventer des mondes à partir de pas grand-chose.
Regarder une fourmi vivre sa vie pendant des heures.
Regarder l’herbe pousser et écouter le chant des oiseaux.
Faire comme le chat ; être reine de son domaine et apprendre à se prélasser.
Mettre de la poésie absolument partout. Plus tard. Écrire de la poésie et donner une voix à l’infiniment petit.
L’éloge de l’ennui, ou l’éloge de l’écoute.
Dans son livre « La voie de l’écoute », Julia Cameron recense tous les bienfaits de l’écoute. Et un de ses constats est le suivant :
« C’est en écoutant le silence que nous percevons ce « murmure doux et léger ». Nous méditons, même si nous n’appelons pas cela comma ça. En écoutant le silence, nous entendons le bruit, sonore et formidable, de l’univers. Là où il n’y a rien, un grand quelque chose domine »
Je vous posais quelques questions en début d’article. Peut-être prennent elles une nouvelle saveur en ayant parcouru ces quelques lignes.
Dans un monde qui valorise depuis longtemps la force du travail, la performance, l’injonction pour les femmes de tout mener de front, il est urgent de se poser ces simples questions du départ et de les résumer ainsi :
Que va-t-il se passer si je me donne l’autorisation de m’ennuyer ?
Et je vous réponds. Sans nul doute, beaucoup de clarté mentale.
Et de la créativité retrouvée.
Et de la joie.
Un exercice pour apprendre à s'ennuyer
La prochaine fois que vous serez au bord d’une plage ou simplement assis.e à la terrasse d’un café. La prochaine fois que vous aurez cinq minutes devant vous assis.e dans votre canapé.
Essayez de ne rien faire. Ne rien faire, vraiment. Pas lire. Pas scroller. Pas regarder quelque chose sur votre smartphone ou sur votre écran d’ordinateur.
Permettez vous d’être dans le rien. Et voyez comment cela résonne, physiquement, à l’intérieur de vous.
- Est-ce inconfortable ?
- À quel endroit ?
- Pourquoi ?
Puis portez votre attention sur un être vivant. Un chat, une mouette, un humain. Suivez-le et observez le pendant plusieurs minutes.
Si votre attention se dérobe, essayez de la maintenir, d’y revenir sans jugement. Et de nouveau faites le point sur votre ressenti physique. Comment vous sentez vous, là maintenant que vous avez été tout à fait attentif.ve à quelque chose d’extérieur à vous.
Vous verrez qu’en faisant régulièrement ce petit exercice, vous apprécierez de vous ennuyer à ne rien faire et surtout vous pourrez développer une nouvelle capacité d’écoute.
Quelques mots pour finir
J’ai vu ces derniers jours nombre de posts Linkedin porter sur l’injonction à ralentir. A mon sens cela va bien au-delà du simple effet de mode.
J’en ai précédemment parler dans mon article « Nourrir sa créativité pour nourrir sa joie » : faire le constat de notre hyper connexion est déjà un acte de résistance en soi. Un premier pas pour se permettre de se retrouver. Et pour retrouver sa créativité. N’avoir plus peur de l’ennui, mais plutôt le chérir précieusement en est un autre. N’ayons plus peur de répondre « je fais rien » quand on nous pose cette question du « qu’est ce que tu fais ». Le vide n’est pas l’absence du Tout, bien au contraire. Apprenons de nouveau à être en silence avec nous même et à affronter ce que nous sommes, quand nous ne sommes rien.
La voie de la créativité passe aussi par ici.
Si l’envie de passer du temps avec vous mêmes vous appelle, retrouvons nous lors d’une retraite « Parcours de Soi ». Trois jours conçus comme un cocon autour de la méditation, de l’écriture introspective, du collage introspectif et du partage pour apprendre à être ailleurs que dans la performance.